Accueil A la une Société civile et financement étranger : Le business occulte des associations dans le collimateur

Société civile et financement étranger : Le business occulte des associations dans le collimateur

 

Sur les 24.278 ONG que compte la Tunisie, 29% n’ont pas de comptes courants bancaires ou postaux, et seules 182 d’entre elles ont été dissoutes pour financement illicite à connotation politique.

Les associations censées être à but non lucratif pour défendre des causes nobles et désintéressées qui vont du social à l’humanitaire, en passant par le développement et la démocratie dans sa portée universelle, avaient souvent servi de «sponsors» à certains partis et à certains candidats à la présidentielle ! Et ce, depuis 2011. Les fonds, notamment en provenance de l’étranger, n’ont cessé d’entacher tour à tour les rendez-vous électoraux nationaux.

Du coup, se posent des questions lancinantes : comment et pourquoi cela s’est produit ? D’où venait cet argent et quel (s) itinéraire (s) a-t-il pu emprunter pour aller droit dans les poches de ses bénéficiaires au nez et à la barbe des autorités ? Ce qui est encore plus grave c’est que la masse totale de ces financements louches n’a pas été, à ce jour, concrètement évaluée. Ce qui donne à penser qu’il s’agit de pratiques dignes des organisations mafieuses aux énigmes insondables.

Dites-le avec les chiffres 

Historiquement, deux facteurs y ont largement contribué. En effet, outre une certaine volonté politique dictée par une folle course au pouvoir qui autorisait toutes sortes de dépassements, il faut remarquer que le nombre d’ONG en Tunisie a subitement explosé, pour passer de 9.744 en 2010 à… 24.278 à la fin du mois de septembre dernier !

Selon les mêmes statistiques établies par le centre Al Kawakebi des mutations démocratiques, c’est le fameux décret 88 de 2011 qui a allumé la première étincelle de ce qui sera «l’invasion sauvage des associations». Une invasion qui allait être relayée par la création de quelque 217 ONG étrangères venues en renfort. Et quand on ignore la face cachée de l’iceberg, on se dit : tant mieux pour un peuple longtemps étranglé par deux dictatures et qui rêve aujourd’hui de démocratie et de liberté. D’ailleurs, ce sont là les deux thèmes principaux défendus par les associations lors de leurs activités publiques. Le citoyen lambda appréciait, en y adhérant, sans soupçonner une seconde qu’on était en train de le leurrer. Il ne s’en rendra compte que lorsque la Cour des comptes publie son rapport sur les élections 2019 et dans lequel on fait allusion, entre autres révélations sensationnelles, au rôle joué par des ONG (sans les citer) dans le financement de la campagne électorale de candidats et de partis politiques. Ce rapport qui a été corroboré par l’Isie et la Haica, indique également que «la contribution financière d’ONG étrangères au profit de leurs homologues tunisiennes est passée de 4,7 millions de dinars en 2012 à 37 milliards de nos millimes en 2019»

Passer la vitesse supérieure 

Pourtant, le décret 88/2011 impose, par son arsenal juridique, un contrôle rigoureux sur la gestion financière de toutes les associations, l’objectif étant de lutter contre toute tentative de manipulation des fonds à des fins politiques ou de blanchiment d’argent.

Certes, certaines associations s’exécutent en publiant régulièrement leurs bilans et le montant des dons et subventions reçus de l’étranger. Cependant, celles-ci ne représentent que 37% des 24.278 ONG, rapporte le centre Ifada dont l’étude exhaustive rendue publique affirme que «29% du tissu associatif n’ont pas de comptes courants bancaires ou postaux, contre 11% jugées correctes et transparentes sur le plan comptable».

La même étude révèle que «13% des associations à vocation humanitaire et religieuse échappent à tout contrôle de l’Etat». Laxisme ou complaisance ? «Les deux à la fois» pense Me Mouadh Ben Zaied, avocat à la Cour de cassation qui évoque «des dysfonctionnements dans les moyens de conduire ce dossier complexe» et «l’interventionnisme de certains politiques pour protéger et leurs poulains et leurs propres carrières».

Hosni Bellagha, expert-comptable, est sur la même longueur d’onde. «Avant 2020, dit-il, le pays agonisait et la voie était ouverte à tous les abus. C’est pourquoi l’argent qui coulait à flots en provenance de l’étranger était inestimable». Et notre interlocuteur de rappeler qu’«en 2016, des directeurs de campagne à la solde de candidats politiques ont été épinglés en train de chercher à dissimuler des fonds pesant dix millions de dinars récoltés à l’abri des regards des donateurs et du fisc».

Halte aux financements illégaux

Bref, tout était permis en ce temps-là… jusqu’au jour où le Président Kaïs Saïed décide de déclarer la guerre aux corrompus. Pas plus tard que mercredi dernier, il a déclaré : «Nous voulons bien de la société civile, mais non pas quand elle devient un bras des puissances et pays étrangers», en allusion aux 2 milliards trois cent seize millions de dinars, une partie des financements étrangers obtenus par des associations tunisiennes de 2011 à 2023. Auparavant, le Chef de l’Etat a réaffirmé, lors des deux audiences accordées au gouverneur de la BCT et à la présidente du Comité national de réconciliation pénale, qu’il faut redoubler d’efforts pour mettre fin «aux financements illégaux qui profitent aux partis qui ont choisi de tomber dans les bras de ceux qui cherchent depuis l’étranger à déstabiliser la Tunisie».

Ce n’est donc pas un hasard si on a fait état récemment de la découverte de pas moins de 272 associations sur lesquelles pèsent des soupçons autour de leurs sources de financement et au sort de leurs fonds. 182 d’entre elles ont été immédiatement dissoutes, tandis que d’autres mises encore en examen pourraient suivre. Dans le même contexte, et en prévision de la prochaine élection présidentielle, le président de l’Isie a annoncé, lundi 22 avril, «la mise en avant de l’impératif de garantir le succès cette échéance qui devra se tenir à l’abri de toute intervention de l’argent politique et de manipulation des associations, des médias ou des sondages trompeurs, la loi doit s’appliquer à tous, sans distinction ni exception».

Ainsi, la pression exercée aujourd’hui sur les agissements troublants de certains acteurs associatifs est telle que le Chef du gouvernement a tenu lundi dernier un Conseil ministériel restreint entièrement consacré à la poursuite de l’examen d’un projet de loi organique (avec ses sept chapitres) portant organisation des associations, alors que, vendredi dernier, des mandats de dépôt ont été émis par le Tribunal de première instance de Tunis contre les dirigeants de deux associations et anciens responsables au sein de nombre d’administrations.

Selon des sources sécuritaires, la police judiciaire relevant de la direction des services spéciaux, depuis qu’elle a été saisie de dossiers en rapport avec le même contexte, a intensifié, ces jours ci, les enquêtes, investigations et recherches, en vue d’identifier et d’arrêter les suspects.

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